Biocarburants – Les Etats-Unis vont imposer des droits compensatoires à l’Argentine et à l’Indonésie

Depuis la venue en poste du président Donald Trump, d’entrée de jeu il a énoncé le fait que, dorénavant, peu importe les règles imposées par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), il entendait imposer des droits compensatoires pour l’importation de tout produit menaçant des emplois aux Etats-Unis. A plus forte raison si lesdits produits proviennent de pays les subventionnant tant dans les marchés locaux que sur les marchés à l’exportation.

A l’évidence, la cible privilégiée des interventions américaines vise la Chine, un pays dont l’excédent commercial avec les Etats-Unis est fort impressionnant. Mais l’ensemble des économies développées et non développées sont visées par l’administration américaine, comme en témoigne une récentre chronique du Financial Times énonçant des droits compensatoires qui seront imposés aux importations de biocarburants provenant de l’Argentine et de l’Indonésie:

US confirms anti-dumping duties for Argentina, Indonesia biodiesel – Financial Times – 2018-02-21

Cela étant, de quelle façon sont déterminés les droits compensatoires qu’un pays peut imposer à l’importation de produits venant de pays tiers? Un retour sur l’histoire encadrant le commerce mondial s’impose.

Des règles issues de conventions adoptées à la fin de la seconde guerre mondiale

A l’issue de la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis sont devenus la principale puissance économique à l’échelle globale, éclipsant le rôle tenu antérieurement par la Grande Bretagne depuis plus d’un siècle. Il importe de préciser le fait que, avant la mise en place de telles règles, l’arbitraire le plus complet existait dans les échanges commerciaux, chaque pays imposant des tarifs douaniers (droits compensatoires) selon les circonstances du moment et les impératifs de son économie locale.

Alors, pourquoi des règles en vue de policer les échanges commerciaux entre les pays? Tout simplement en vue de répondre à un impératif «américain» de l’après-guerre, i.e. favoriser les échanges de produits entre les pays de façon à stimuler le commerce mondial, les Etats-Unis étant les plus grands bénéficiaires de ces règles dans la mesure où ses entreprises seraient les grands bénéficiaires d’une telle ouverture des marchés, les Etats-Unis se situant au 1er rang de la production industrielle à l’échelle mondiale.

C’est ainsi qu’en 1948 sont entrées en vigueur les règles énoncées par l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (AGETAC) («General Agreement on Tariffs and Trade» (GATT)) visant à libéraliser les échanges commerciaux entre les pays. Puis, en janvier 1995, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) («World Trade Organization» (WTO)) prenait le relais de l’AGETAC et ce sont des règles nouvelles qui sont en application aujourd’hui, libéralisant davantage les échanges commerciaux que les règles prescrites par l’AGETAC.

Les règles prescrites par l’OMC

L’Organisation mondiale du commerce s’avère un club «sur invitation» où les pays entérinant les principes d’un commerce mondial non subventionné et libre de toute contingence sont admis à faire partie de l’organisation, étant assurés d’un traitement équitable si un différend survient avec un pays tiers, le tout supervisé par un tribunal indépendant sous juridiction de l’OMC chargé de rendre des décisions qui lient les parties.

Les principes «fondamentaux» à l’origine des règles sur le commerce imposées par l’OMC s’énoncent ainsi:

  • aucune intervention gouvernementale dans la fixation des taux de change et la convertibilité des devises sur les marchés extérieurs
  • salaires déterminés par la libre négociation entre les salariés et les entreprises
  • aucune restriction à la co-participation des investisseurs extérieurs à des entreprises locales
  • aucun contrôle gouvernemental sur les moyens de production
  • aucun contrôle gouvernemental sur l’allocation des ressources, la fixation des prix pour les produits et les processus décisionnels dans les entreprises
  • aucune autre mesure de nature à limiter les échanges commerciaux libres et sans entraves

Des informations plus détaillées sur les règles régissant l’OMC sont disponibles dans le document suivant:

The Outlook for Market Economy Status for China – PIIE – 2016-04-11

Ainsi, lorsqu’un pays souhaite rejoindre l’OMC et qu’il adhère à ses principes «fondamentaux», son admission se déroule en 2 phases:

  1. admission au sein de l’OMC par l’adhésion à ses règles de commerce et acceptation de la juridiction du tribunal de l’OMC en cas de différend avec un pays tiers, les règles d’arbitrage étant plus «souples» jsuqu’à ce que ledit pays ait entièrement mis en application les principes «fondamentaux»
  2. après une période de «probation» de 15 années, admission au statut «d’économie de marché» avec des pénalités moindres en cas d’infraction aux règles de commerce dans l’exportation de produits vers des pays tiers

Les règles d’arbitrage et les sanctions imposées aux pays membres de l’OMC en cas de «dumping»

De façon schématique, les règles et pénalités imposées aux pays membres de l’OMC, en cas de concurrence déloyale sur les marchés à l’exportation, se déclinent selon les 4 schémas suivants.

1) Pays admis au sein de l’OMC (sans statut «d’économie de marché») sans produits soumis à l’exportation

Les règles régissant l’OMC ne prévoient aucune juridiction de l’OMC dans le marché «local» d’un pays membre, que cela concerne des produits subventionnés ou non. A titre d’exemple, un état peut décréter des subventions pour la production de denrées alimentaires et il serait mal avisé que l’OMC puisse interférer avec des règles visant des avantages/bénéfices pour la population.

 

2) Pays admis au sein de l’OMC (sans statut «d’économie de marché») avec produits non subventionnés soumis à l’exportation

Tel que le spécifie l’analyse présentée par la firme IC & Partners dans le cas des exportations de produits non subventionnés:

Legal issues related to the recognition of market economy status of China – IC & Partners – 2016-07-01

(I) If the producers under investigation can clearly show that market
economy conditions prevail in the industry producing the like product with
regard to the manufacture, production, and sale of that product, the
importing WTO Member shall use Chinese prices or costs for the industry
under investigation in determining price comparability;

Bref, en résumé, ce sont les prix du marché «local» non subventionnés qui dictent des prix «justes» à l’exportation.

3) Pays admis au sein de l’OMC (sans statut «d’économie de marché») avec produits subventionnés soumis à l’exportation

Tel qu’en fait mention l’analyse présentée par la firme IC & Partners:

Legal issues related to the recognition of market economy status of China – IC & Partners – 2016-07-01

(Ii) The importing WTO Member may use a methodology that is not
based on a strict comparison with domestic prices or costs in China if the
producers under investigation cannot clearly show that market economy
conditions prevail in the industry producing the like product with regard
to the manufacture, production, and sale of that product

En résumé, ce sont les prix d’un marché «tiers» qui dictent des prix «justes» à l’exportation et serviront de base à l’application de tarifs dans les pays qui importent de tels produits.

4) Pays admis au sein de l’OMC (avec statut «d’économie de marché») avec produits subventionnés soumis à l’exportation

Tel que le spécifie plus tôt l’analyse présentée par la firme IC & Partners dans le cas des échanges entre les pays ayant statut «d’économie de marché»:

Legal issues related to the recognition of market economy status of China – IC & Partners – 2016-07-01

(I) If the producers under investigation can clearly show that market
economy conditions prevail in the industry producing the like product with
regard to the manufacture, production, and sale of that product, the
importing WTO Member shall use Chinese prices or costs for the industry
under investigation in determining price comparability;

Bref, ce sont les prix du marché «local» qui dicteront les prix «justes» à l’exportation, tenant compte d’autres facteurs pouvant déterminer les tarifs que les pays importateurs pourront imposer pour de tels produits.

La Chine souhaite la reconnaissance de son statut «d’économie de marché»

La Chine a été admise membre de l’OMC le 11 décembre 2001 et, selon les règles en vigueur et le protocole régissant son adhésion, elle était assurée d’accéder au statut «d’économie de marché» en décembre 2016 notamment par le fait d’une clause «d’automaticité» garantie et inscrite dans le protocole d’adhésion. A cet égard, les Etats-Unis contestent «l’automaticité» d’une telle mesure et l’associent au stricte respect des principes «fondamentaux» avant d’en reconnaître l’application.

Or, à ce jour, tant les Etats-Unis que l’Europe refusent d’octroyer un tel statut à la Chine, au prétexte que les principes «fondamentaux» régissant les pratiques économiques et commerciales ne sont toujours pas en application, tel qu’en témoiigne cette chronique du site Wolf Street décrivant l’intervention des autorités chinoises afin de limiter les effets sur le marché boursier du «mini-crash» vécu en février dernier:

How to Manipulate Stocks – Chinese Authorities Step in to Stop the Rout – Wolf Street – 2018-02-12

Ainsi, il apparaît évident que, en cas de «dumping» de son acier, de son aluminium,… sur les marchés extérieurs, tant que le statut «d’économie de marché» n’aura pas été consenti à la Chine, celle-ci se verra imposée de lourds tarifs à l’importation de ses produits, beaucoup plus élevés que si le statut «d’économie de marché» lui était octroyé.

Cela étant, force est de constater que la Chine n’adhère pas entièrement aux principes «fondamentaux» régissant les pratiques financières et commerciales sur son territoire et, à ce titre, justifie les pénalités qui lui seront imposées par des pays jugeant de pratiques discriminatoires, de la part de la Chine, dans l’exportation de produits dans leurs marchés respectifs.

Pour en apprendre davantage dans ce dossier:

China – Creating a Legal System for a Market Economy – GW Law – 2007

 

[Note: svp, ne pas retransmettre copie des documents joints à cet envoi (sauf autrement permis) s’ils comportent des mentions de droits d’auteur]