«Watch out! Biden wants to save the planet»

Tel est le titre d’une analyse réalisée par Jonathan Tennenbaum Ph. D. dans une série d’articles publiés dans le Asia Times et intitulés :

Et, de quoi s’agit-il ?

Essentiellement d’une analyse détaillée des tenants et aboutissants à l’effet de tout miser sur les énergies renouvelables – éolien, solaire, biomasse,… – pour combler les besoins en électricité d’un état/province. Notamment le choix de l’Allemagne – sous la poussée des environnementalistes et dans la foulée du désastre de Fukushima – de fermer ses centrales au charbon et ses centrales nucléaires pour devenir «verte à 100 %» à l’horizon 2050 sous le programme Energiewende. Et en misant exclusivement sur ces sources d’énergie pour combler tous ses besoins en électricité.

Cette analyse, est-elle le fait d’un «anti-environnementaliste» qui ne jure que par le nucléaire ou les énergies conventionnelles ?

Loin de là…

La synthèse des six articles publiés à ce jour sur ce thème est disponible via ce lien :

Watch out! Biden wants to save the planet – Jonathan Tennenbaum – Asia Times – 2021-03

Quelques mots sur Jonathan Tennenbaum Ph. D.

Eh bien, certes pas un jeune autodidacte en matière d’énergie mais un scientifique chevronné qui a obtenu son doctorat en mathématiques de l’Université de Californie à l’âge de… 22 ans ! Aujourd’hui associé à un centre universitaire de Berlin dans son pays d’origine, tout au long de sa carrière, a mené des travaux dans différents domaines tel la recherche en fusion nucléaire, en intelligence artificielle, dans les sciences naturelles (biologie) en plus d’avoir poursuivi des études en musique classique et ajouté le mandarin à son curriculum…

Mise en situation

Les récentes pannes d’électricité au Texas ont mis en évidence la très grande dépendance des individus et des états à s’assurer d’un approvisionnement électrique stable et, d’autre part, mis en évidence la fragilité de toute société si elle vient à manquer d’électricité durant une période prolongée. Dans le cas du Texas la situation était simplement le fait d’une défaillance des équipements de production à fonctionner par grand froid mais n’était pas due à une «défaillance structurelle» au niveau de la production d’électricité comme tel.

Or, une situation encore plus préoccupante est survenue en Allemagne durant le mois de février alors que, là encore, une vague de froid a déferlé sur le pays. Et, face à la demande accrue en électricité durant la période, les opérateurs du réseau ont été contraints de procéder à des coupures de courant («délestage») et à redémarrer des centrales au charbon pourtant condamnées à être mises au rancart sous peu.

Et pourquoi se sont-ils résolus à redémarrer des centrales au charbon ? Simplement du fait que les cellules photovoltaïques étaient hors fonction – accumulation de neige – et du fait que le vent était «absent» durant toute la période de grand froid.

Panneaux solaires enneigés durant la période de grand froid de février 2021

Ainsi, il apparaît évident que l’Allemagne, sous la pression d’environnementalistes ne faisant pas la distinction entre «énergie» et «puissance», ont contraint les dirigeants à entamer un réalignement de la production d’électricité mettant l’Allemagne en situation de grands risques par rapport à son autosuffisance électrique.

L’ensemble de la situation vécue en Allemagne durant la période de grand froid a été bien résumée dans le document suivant :

Germany’s ‘Green’ Energy Fail Rescued by Coal and Gas – 21st Century Wire – 2021-02-09

Et le commentaire assez «cinglant» du Professeur Harald Schwartz relevant l’irresponsabilité des dirigeants à prendre en considération les limitations «techniques» exposées par les experts du domaine :

«L’erreur» des promoteurs du 100 % renouvelable : confondre «énergie» et «puissance»

Un système assurant la fourniture en électricité dans une région, une province ou un état, est constitué de 4 éléments :

  • unités (centrales) de production d’électricité
  • réseau de transport (généralement à haute tension)
  • réseau de distribution (généralement à basse tension)
  • charges électriques (clients résidentiels, industriels,…)

Lorsque le système opère «en équilibre», à tout instant la production doit être égale aux charges électriques sinon, dans la mesure où les «électrons» ne peuvent être stockés dans les lignes de transport et de distribution, des charges doivent être délestées (i.e. clients débranchés) afin de rétablir l’équilibre du système. Et cet équilibre est assuré parce que des unités de production opèrent à un niveau égal à celui de la demande, en tout temps.

Or, les sources d’énergie dites «renouvelables» présentent un intérêt pour fournir l’énergie nécessaire pour alimenter le chauffage, les appareils électriques résidentiels (réfrigérateurs, grilles-pain,…) mais, dans la mesure où au moment où on branche une charge électrique, si la production d’électricité solaire ou éolienne n’est pas suffisante pour assurer la fourniture de l’ensemble des charges électriques du moment, un déséquilibre se présente. Et, à moins qu’une unité de production ne soit en opération à ce moment précis pour compenser ce manque de production, déséquilibre => coupures de courant.

Ainsi, on réalise le fait que, sans des unités assurant une production «de base» qui opèrent en mode «standby», la transition vers le «100 % vert» requérerait l’installation d’un nombre faramineux d’unités éoliennes et solaires pour assurer une fourniture constante en «puissance».

 

«L’erreur» de l’Allemagne : déséquilibre production renouvelable vs besoins de base

S’agissant de l’Allemagne qui a fait le choix stratégique de mettre à terme au rancart ses unités de production nucléaires et celles au charbon, tenant compte du «vécu» durant la dernière période de grand froid, le graphique suivant présente la charge électrique qui doit être assurée à tout moment, à chaque jour, sur une base annuelle :

Profil de charge électrique quotidien (2010)

Ainsi, à l’examen de ce profil de charge, on constate que :

  • la puissance minimale à rencontrer à tout moment se situe à env. 45 000 MW
  • la demande en électricité est plus importante durant la période hivernale
  • la demande maximale peut atteindre, certains jours, 75 000 MW

Par ailleurs, la production d’électricité d’origine éolienne, durant la période estivale, se présente ainsi :

Production d’électricité via le parc éolien durant la période estivale (2018 & 2019)

Ainsi, l’examen de la contribution de l’énergie éolienne à satisfaire les besoins en «puissance» :

  • peut atteindre 30 000 MW durant certaines périodes de l’année
  • présente une valeur «mmaximale moyenne» d’à peine 5 000 MW pour «garantir une fourniture en puissance» en tout temps sur le réseau électrique

le tout avec un parc éolien de 50 000 MW en opération en 2018.

Par ailleurs, en juxtaposant ces deux courbes sur un même graphique, en s’assurant du respect des échelles de temps et de puissance, la courbe combinée se présente ainsi :

Production d’énergie éolienne vs profil de charge

De plus, dans une commpilation plus récente établie spécifiquement pour le mois de janvier 2021, le graphique met en relation la puissance requise pour la desserte en électricité vs l’apport des sources d’énergie solaires + éoliennes :

Production d’énergie renouvelable – solaire + éolien vs profil de charge – janvier 2021
Parc éolien en opération env 69 000 MW (2019)
source : www.vernunftkraft.de/winterstress-im-rbb
fr.wikipedia.org/wiki/Énergie_éolienne_en_Allemagne

Bref, il apparaît évident que, nonobstant la production d’électricité solaire marginale, si l’Allemagne entend assurer l’entièreté de la production d’électricité via la production éolienne, sur la base d’une «puissance» minimale de 45 000 MW requise en tout temps, il faudrait installer 9 fois plus d’unités éoliennes que le nombre actuellement installé, soit 450 000 MW d’unités sur l’ensemble du territoire.

Parc éolien en Californie

Et, si l’Allemagne opte pour des éoliennes nouvelle génération 12 MW proposées par GE, installer env. 45 000 unités éoliennes additionnelles, chacune ayant une hauteur égale à la tour Eiffel :

A l’évidence, en ayant fait le choix de transiter vers le «100 % vert» à l’horizon 2050 en se basant uniquement sur des sources d’énergie renouvelables, l’Allemagne va se retrouver en situation de grande précarité électrique et connaître des pannes à répétition, d’où la conclusion du Professeur Schwartz :

«Nous dépendrons des approvisionnements extérieurs à l’avenir»

Pays en voie de réalignement énergétique

Depuis les accords de Paris COP-21 et sous la pression constante des milieux environnementalistes, plusieurs pays européens ont signalé un réalignement de leur production d’électricité afin que, tout comme l’Allemagne, à terme ils deviennent «100 % verts». Ce sont :

  • Royaume-Uni
  • France
  • Espagne
  • Belgique
  • Norvège
  • Danemark

Ainsi, à l’évidence, les dirigeants de ces pays n’ont pas pris acte de la précarité de la situation dans laquelle les amènerait cette transition à l’image du «vécu» récent en Allemagne, la France ayant notamment cessé les opérations à sa centrale nucléaire de Fessenheim et confirmé la fermeture de 14 réacteurs nucléaires d’ici 2035 :

https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/industries/la-france-confirme-la-fermeture-de-14-reacteurs-nucleaires-d-ici-a-2035_AN-202001210110.html

Et les Etats-Unis entrent dans la danse…

L’analyse proposée par Jonathan Tennenbaum fait état des enjeux considérables auxquels seront confrontés les autorités américaines depuis l’annonce, par le président Biden, d’une transition similaire sur le territoire américain.

Ainsi, outre les aspects techniques de la transition – installer une surcapacité éolienne afin que l’ensemble puisse compenser les zones de faible production couplée avec des lignes de transport d’électricité permettant les interconnexions entre les zones de production  -, Jonathan Tennenbaum met en évidence les coûts énormes engendrés par une refonte en profondeur du secteur de l’électricité… des coûts de plusieurs centaines de milliards de $ pour remplacer les centrales nucléaires et les centrales au charbon par d’immenses parcs éoliens déployés sur des zones différenciées du territoire, la mise en service d’une «autoroute électrique» à la grandeur du pays reliant le pays d’Est en Ouest,…

Ce qui soulève la question subsidiaire : des états pourront-ils s’opposer ou «moduler» cette transition afin de respecter des choix qui pourraient s’exercer localement, à l’image des Landers en Allemagne qui freinent la construction de ces «autoroutes de l’électricité» massives qui dénaturent leurs paysages (/www.sciencespo.fr/ceri/en/content/les-paradoxes-de-la-transition-energetique-allemande) ?

Par ailleurs, dans la mesure où le marché de l’électricité a été en grande partie déréglementé dans les années 1997-2000 et du fait que, dorénavant, la commission fédérale FERC est en mesure d’imposer des conditions accentuant cette transition, il appert que les états disposeront de peu de marge de manoeuvre pour s’opposer à ce virage «100 % vert» annoncé par le président Biden.

Conclusion

Ainsi, sous la poussée du mouvement environnemental qui impose sa feuille de route aux autorités, l’Europe marquera le pas dans cette transition vers le «100 % vert» et servira de balise, au besoin, afin de servir de modèle pour moduler le déploiement dans d’autres pays.

Pour peu que les dirigeants politiques tiennent compte des avis des «électriciens» qui appréhendent cette transition vu le haut degré d’incertitude quant à une desserte en électricité qui soit sûre, fiable et efficace.